2017 : une baisse d’activité continue pour Autolib’
Fin 2016, le Canard Enchaîné avait révélé que le groupe Bolloré prévoyait pour le service Autolib’ une perte de 179 millions d’euros à l’horizon 2023[1]. Dans la foulée, le syndicat mixte Autolib’ Métropole appliquait une augmentation du tarif horaire d’Autolib’ et demandait un audit des documents financiers fournis par le groupe Bolloré[2].
Les résultats de cet audit n’ont malheureusement pas été publiés, mais les données d’usage publiées par Autolib’ nous permettent d’estimer les recettes du service Autolib’ pour l’année 2017 et de les comparer à celles de l’année 2016.
L’année 2017 se caractérise par une baisse d’activité pour Autolib’ :
L’augmentation des tarifs au 1er février 2017 n’a pas compensé la baisse d’activité, en conséquence de quoi les recettes d’Autolib’[4] ont – d’après notre estimation - diminué, passant de 55 millions d’euros en 2016 à 52 millions en 2017.
Lors de notre analyse économique de janvier 2017, nous avions mis en évidence l’existence d’une relation inverse entre la disponibilité des voitures et la fréquence d’usage du service : jusqu’à fin 2016, à mesure que le nombre d’abonnés annuels par voiture augmentait, la fréquence d’usage par abonné diminuait.
Or, à partir de décembre 2016, le nombre d’abonnés a diminué tandis que le nombre de voitures restait stable. Le nombre d’abonnés par voiture a par conséquent diminué et la disponibilité des voitures a augmenté, mais cela n’a pas enrayé la diminution de la fréquence d’usage du service.
Nous émettions dans notre baromètre d’octobre 2017[5] l’hypothèse que les usagers qui se seraient détournés d’Autolib’ faute de disponibilité des voitures ne reviennent pas automatiquement au service dès lors que la disponibilité des voitures augmente à nouveau : il serait alors nécessaire de reconquérir ces usagers par des initiatives de promotion et de communication.
Conséquence d’une fréquence d’usage en diminution pour un nombre de voitures stable, le taux d’utilisation des voitures a continué de diminuer en 2017.
De plus depuis 3 ans, la baisse d’activité semble parallèlement s’être accompagnée d’une hausse des frais d’investissement et de fonctionnement, du moins en ce qui concerne les voitures. En effet, en comparant décembre 2014 et décembre 2017, alors que l’on observe une baisse d’environ 1000 locations par jour (12800 en décembre 2014 contre 11900 en décembre 2017) on observe une augmentation d’environ 1000 voitures (2845 en décembre 2014 contre 3891 en décembre 201).
Tous ces éléments laissent supposer que l’horizon de rentabilité d’Autolib’ continue à s’éloigner.
2018 : vers une nouvelle stratégie ?
Début janvier 2018, le service Autolib’ a proposé aux utilisateurs de la formule « prêt à rouler » d’obtenir gratuitement un abonnement annuel et de bénéficier du tarif horaire associé[6]. Cette formule semble avoir convaincu certains usagers, étant donné que le nombre d’abonnés annuels a augmenté en janvier (de 1,4 %), mettant fin à une diminution de 13 mois consécutifs.
Avec cette promotion, les gestionnaires d’Autolib’ espèrent vraisemblablement que des personnes qui n’auraient pas spontanément adopté l’abonnement annuel vont utiliser davantage le service si elles peuvent bénéficier du tarif horaire de l’abonnement annuel sans avoir à payer les frais d’abonnement. Autolib’ renonce donc à percevoir des frais d’abonnement en échange de la perspective d’une utilisation accrue du service. Cela peut être interprété comme le signe de la volonté de dépassement d’un modèle basé sur des frais fixes. Par le passé, Autolib’ a déjà proposé très régulièrement des réductions sur les frais d’abonnement à l’année. Nous remarquons que les autres services de véhicules partagés à Paris (VTC, scooters en libre-service par exemple) tendent à privilégier des modèles selon lesquels la tarification est entièrement basée sur l’usage et ne comporte pas de frais fixes.
Les réductions appliquées aux frais d’abonnement étant variables et discontinues, nous avons jusqu’à présent renoncé à tenter de les intégrer à notre modèle d’estimation des recettes. Cependant, dans la mesure où certains usagers peuvent accéder à l’abonnement annuel sans payer aucun frais, il devient nécessaire d’envisager à nouveau l’intégration de ce paramètre dans notre modèle, sous peine de surestimer fortement les recettes issues des frais d’abonnement.
En ce qui concerne le nombre de locations par jour, celui-ci a augmenté de 3 % entre décembre 2017 et janvier 2018, alors qu’il avait diminué de 1 % entre décembre 2016 et janvier 2017.
En ce qui concerne l’évolution du nombre de locations par voiture et par jour, nous observons également une inversion de tendance : entre décembre 2017 et janvier 2018, celui-ci a augmenté de 3 % alors qu’il avait diminué de près de 1 % entre décembre 2016 et janvier 2017. Cette évolution positive pourrait être due à l’abonnement annuel proposé gratuitement aux utilisateurs de la formule « Prêt à rouler ». Les prochains mois nous diront si l’amélioration constatée est un soubresaut ou une inversion de tendance durable.
Dépasser l’objectif de rentabilité pour recentrer la réflexion sur l’utilité du service
Nos travaux sur la rentabilité du service Autolib’ prennent leur source dans le fait que le groupe Bolloré a longtemps conçu - et exprimé à plusieurs reprises, notamment dans la presse - l’attente d’un horizon de rentabilité pour le service.
Il est cependant important de rappeler que, d’une part, il n’existe pas de service de transport public rentable et que, d’autre part, la rentabilité n’est pas la vocation d’un service public. Néanmoins, s’il ne doit pas nécessairement être rentable, un service public doit avoir une utilité sociale. Dès lors, il nous semble nécessaire de poser deux questions :
(1) Quel est le montant, ou le taux, de subvention acceptable pour la collectivité ?
(2) Quelles sont la ou les fonctions d’utilité publique assurées par le service et qui permettent de justifier l’existence du subventionnement par les collectivités ?
L’audit des comptes demandé par le syndicat mixte début 2017 devrait permettre de répondre à la première question. Quant à la seconde, il s’avère important de rappeler qu’une dépense publique doit être justifiée par un ou des objectifs vérifiables.
Alors, pourquoi mettre à disposition 4000 véhicules électriques en libre-service sur le territoire de la métropole parisienne ? On se tromperait en revendiquant principalement des objectifs de réduction de la pollution et du bruit.
Ainsi que l’a montré l’enquête menée par 6t auprès des usagers d’Autolib’ en 2014[7], le service Autolib’ ne substitue pas tant à la voiture personnelle à moteur thermique qu’aux transports en commun, au vélo et à la marche. De plus, face aux millions de voitures qui circulent chaque jour en Île-de-France, les 4 000 Autolib’ déployées ne peuvent avoir qu’un impact marginal sur le bruit, la qualité de l’air et les émissions de CO2. Enfin, même si Autolib’ avait un tel impact, il serait très compliqué, voire impossible, de mettre en évidence la causalité : sur quel territoire faut-il mesurer l’impact ? Sur quelle temporalité ? Comment intégrer l’ensemble les évolutions qui ne sont pas le fait d’Autolib’ (amélioration de l’offre TC, renouvellement du parc automobile, contraintes à l’usage de la voiture personnelle, développement de nouveaux services de mobilité) ? etc.
La réduction du bruit et de la pollution est donc au mieux une externalité positive, mais elle ne peut pas être l’objectif premier d’Autolib’, entre autres parce qu’il n’est pas vérifiable. Il nous semble que la vertu première d’Autolib’ a été de proposer un test grandeur nature de l’usage massif de véhicules électriques et partagés. Expérience unique, avec ses plus de 100.000 usagers réguliers et ses plus de 10.000 locations par jour, Autolib’ a réussi le pari de passer d’un projet technologique à un projet de transport. En d’autres termes, Paris a prouvé au monde entier que l’automobilité électrique et partagée est possible à l’échelle urbaine.
Pour transformer l’essai et devenir un service public, Autolib’ doit rentrer dans une deuxième étape : passer du projet de transport au projet de mobilité. Pour Autolib’, l’objectif n’est plus le transport, mais l’accessibilité territoriale.
C’est seulement en se donnant les moyens d’observer l’impact d’Autolib’ en termes d’accessibilité territoriale que la collectivité pourra justifier l’utilité sociale de son service.
Annexe méthodologique
Pour rédiger cet article, nous nous sommes basés principalement sur trois sources de données :
Le calcul de l’estimation mobilise les variables suivantes :
Tableau 1 : comparaison entre le nombre d’abonnements vendus par an et le nombre d’abonnés actifs en fin d’année (sources : Autolib’ Métropole et presse, calculs 6t-bureau de recherche)
*Source : rapport d'activité Autolib' Métropole 2015
(a) nombre moyen d'abonnements actifs par jour sur le mois de décembre. Source : rapport d'activité Autolib' 2013.
(b) au 9 décembre 2013. Source : Journal de l'Automobile.
(c) Au 28 décembre 2014. Source : open data Autolib' Métropole.
(d) nombre moyen d'abonnements actifs par jour sur le mois de décembre. Source : rapport d'activité Autolib' Métropole 2015.
(e) Au 25 décembre 2016. Source : graphique interactif Autolib' Métropole.
Les calculs réalisés pour estimer les recettes sont les suivants :
Notre relevé des fichiers open data d’Autolib’ Métropole nous permet de connaître pour chaque fin de mois, sur la période étudiée, le nombre de voitures en service. En établissant la moyenne de ces valeurs pour chaque année, nous obtenons une estimation du nombre moyen de voitures en service sur chaque année (le rythme de déploiement des voitures nous semblant rendre l’échelle du mois suffisamment précise pour ce type de calcul). Nous obtenons par cette méthode un nombre moyen de voitures en service qui s’élève à :
Nous calculons ensuite, pour chaque année :
[1] https://www.20minutes.fr/paris/1990111-20170105-paris-179-millions-euros-pertes-2023-autolib-paiera-contribuable
[2] http://rmc.bfmtv.com/emission/deficit-d-autolib-la-mairie-de-paris-a-lance-un-audit-pour-verifier-que-bollore-ne-l-a-pas-trompe-1085140.html
[3] Les sources de l’ensemble des chiffres présentés sont présentées dans l’annexe méthodologique et dans le fichier open data téléchargeable n fin d’article.
[4] Notre estimation intègre les recettes issues de abonnements annuels et des locations effectuées par les abonnés à l’année. Diverses formules d’abonnement de courte durée (1 jour à 1 mois) existaient jusqu’en janvier 2016 et elles ont été remplacées en 2016 par une unique formule sans abonnement nommée « prêt à rouler ». Nous ne disposons pas des informations nous permettant de calculer le revenu généré par les abonnements de courte durée en 2014 et 2015. Afin d’obtenir une comparaison crédible entre les différentes années, nous avons décidé de ne tenir compte que des abonnements annuels. Cette méthode nous permet de produire une estimation satisfaisante dans la mesure où, depuis les débuts du service, plus de 95 % des locations sont effectuées par les abonnés à l’année (sources : rapports d’activité et site internet d’Autolib’ Métropole).
[5] https://6-t.co/barometre-autolib-octobre-2017/
[6] https://www.dealabs.com/bons-plans/abonnes-pret-a-rouler-abonnement-au-service-autolib-premium-gratuit-pendant-1-an-1154679
[7] 6t-bureau de recherche, 2014, Enquête sur l’autopartage en trace directe : quelle alternative à la voiture particulière ? Le cas d’Autolib’ Paris, 266 pages. https://6-t.co/lautopartage-en-trace-directe-quelle-alternative-voiture-particuliere/
Source photo : https://www.flickr.com/photos/olibac/6542665727/