La livraison instantanée passant par des plateformes en ligne de type Deliveroo ou Uber Eats fait désormais partie du paysage parisien (elle s’est développée au tournant des années 2015-2016). Grâce à une application smartphone, des livreurs indépendants rémunérés à la course effectuent des livraisons, le plus souvent de repas, pour le compte de plateformes numériques. Le modèle économique développé par ces plateformes constitue une évolution, pouvant être désignée par le terme d’ « uberisation » et relevant de la gig economy (« économie des petites boulots »). Signalons également le développement, en parallèle de la livraison de repas, de services de livraison de courses en moins de 15 minutes, souvent à vélo, reposant sur un réseau de dark stores, des entrepôts fermés au public, à la manière des dark kitchens pour la livraison de repas. Ces deux activités se distinguent cependant par le statut et les conditions proposées aux travailleurs.
Le statut et les conditions de travail des livreurs des plateformes de livraison instantanée ont soulevé de nombreuses questions et les médias en ont rapidement pointé la précarité. Il n’existe néanmoins que peu de données chiffrées permettant d’objectiver la réalité de cette activité.
C’est pourquoi la chaire Logistics City / Université Gustave Eiffel travaille sur le sujet depuis 2016, et est rejointe en 2020 par 6t-bureau de recherche. 6t et la chaire Logistics City / UGE travaillent conjointement à la production de données objectives et quantifiées sur le profil et l’activité des livreurs.
Trois études à la méthodologie similaire ont ainsi été menées en 2020, 2021 et 2022, permettant une comparaison dans le temps. À noter que l’étude 2020 a été menée avant le début de la crise sanitaire liée au Covid-19, l’étude 2021 presque un an après le début de la pandémie, en période couvre-feu et de fermeture des restaurants, et l’étude 2022 alors qu’il n'y avait plus de restrictions en vigueur. L’étude 2022 présente aussi la nouveauté d’enquêter un autre terrain en plus de Paris intra-muros : Courbevoie, ville de proche banlieue.
Comme les précédentes, cette étude repose sur une enquête quantitative. Des livreurs travaillant pour des plateformes ont été interrogés en face-à-face à l’aide d’un questionnaire. Au mois de mars 2022, un échantillon de 500 livreurs a été interrogé dans le quart nord-est de Paris, ainsi qu’un échantillon de 166 livreurs à Courbevoie
Le questionnaire administré en 2022 contient de nombreuses questions similaires à celles posées en 2021, permettant d’identifier des évolutions dans le profil et les pratiques des livreurs.
Qui sont les livreurs ?
Comme les années précédentes, les livreurs sont en très grande majorité des hommes (99%), très peu diplômés et dont seule une minorité a la nationalité française. Les livreurs sont très jeunes (près de 60% d’entre eux ont moins de 30 ans et l’âge moyen est de 28,5 ans) et une tendance au « rajeunissement » des livreurs peut être observé par rapport aux années précédentes.
18% d’entre eux sont par ailleurs étudiants et 29% exercent une autre activité professionnelle, le plus souvent à temps partiel, en parallèle de leur activité de livraison pour des plateformes.
38% des livreurs interrogés exercent cette activité en tant qu’autoentrepreneurs, et 10% en tant que coopérateurs. 13% des livreurs sont membres d’un syndicat ou collectif de défense des droits des livreurs.
Comment travaillent les livreurs ?
L’ancienneté dans l’activité de livraison est faible : seuls 20% des livreurs exercent cette activité depuis plus de deux ans. Une tendance à l’augmentation de l’ancienneté semble néanmoins se dessiner par rapport aux années précédentes.
Le type de véhicule le plus fréquemment utilisé pour la livraison est le vélo, utilisé par près de la moitié des livreurs (48,5%), suivi du deux-roues motorisé (42,6%). Notons une utilisation non négligeable de Vélib’ (19%, en majorité des Vélib’ électriques).
Plus de la moitié des livreurs travaillent 6 jours par semaine ou plus. En moyenne, ils travaillent 8h25 par jour (ce qui comprend le temps d’attente entre deux livraisons), effectuent 20 courses quotidiennes et parcourent 37km, avec bien sûr des variations selon le profil des livreurs et le type de véhicule utilisé. Plus de 80% des livreurs génèrent moins de 1 500€ par mois grâce à cette activité, ce qui revient à une rémunération inférieure au SMIC horaire.
Quel regard les livreurs portent-ils sur leur activité ?
Les livreurs jugent leurs conditions de travail difficiles, notamment en ce qui concerne les risques d’accident, la difficulté physique du métier, les conditions météorologiques et les horaires de travail. L’autonomie permise par cette activité demeure cependant appréciée.
Plus d’un quart des livreurs ont déjà eu un accident dans le cadre de leur activité et, dans près de la moitié des cas, cet accident a nécessité un passage aux urgences.
Près de la moitié des livreurs considèrent que la crise sanitaire a détérioré leurs conditions de travail, et 36% qu’elle n’a pas eu d’impact (seuls 17% estiment qu’elle a pu améliorer leurs conditions).
De manière générale, en 2022, l’opinion des livreurs s’est dégradée par rapport aux années précédentes.