Les années 2000 et 2010 ont été marquées par l’émergence en Europe d’une préoccupation pour l’écologie. Paradoxalement, cette période a également été celle de l’intensification des déplacements de longue distance.
Les modes de transport utilisés pour réaliser ces déplacements ont évolué vers des modes rapides fortement consommateurs d’énergie et émetteurs de CO2, notamment l’avion.
Pour des trajets européens, le train de nuit pourrait offrir une alternative à l’avion, mais le mode aérien reste privilégié par les voyageurs effectuant des trajets de longue distance.
6t-bureau de recherche a réalisé une étude inédite visant à mieux comprendre les mécanismes de choix modal pour les déplacements de longue distance. L’opportunité offerte par les trains de nuit pour diminuer l’impact environnemental des trajets de longue distance a été évaluée à l’aune de la demande effective pour cette offre. L’objectif final était d’identifier les caractéristiques que devrait présenter une offre de trains de nuit pour être compétitive.
Cette étude a combiné une revue de littérature, l’analyse des données existantes et deux enquêtes en ligne :
En France, les distances parcourues pour les trajets de plus de 80 km ont cru entre 1994 et 2019. Cette croissance est fortement portée par les motifs personnels, qui représentent 80% des voyages de mobilité à longue distance. C’est d’abord la hausse du nombre de voyages (en raison du fractionnement des vacances), puis l’accroissement des distances parcourues lors de chaque voyage qui expliquent cette évolution.
La croissance du nombre de trajets et des distances parcourues s’est accompagnée d’un accroissement des émissions liées à cette mobilité. L’avion est le mode le plus émetteur et responsable de 53% des émissions longue distance (et au moins 15% des émissions de CO2 toutes mobilités confondues). L’augmentation de la fréquence d’usage de l’avion est en grande partie liée à l’avènement d’offres portées par des compagnies aériennes low-cost depuis les années 1990. En parallèle, l’offre de train de nuit en France a été fortement réduite depuis les années 1980.
Les personnes qui ont déjà pris l’avion et celles qui ont déjà pris le train de nuit sont proches en termes sociodémographiques et de pratiques de mobilité. Elles sont issues des catégories supérieures, sont plus diplômées et plus riches que la moyenne et vivent plus souvent en couple sans enfants que la population de France métropolitaine.
Alors que les usagers du train de nuit ont eu la possibilité́ par le passé de tester l’avion, près de la moitié des usagers de l’avion n’ont jamais emprunté le train de nuit. Parmi ceux qui l’ont testé, 60% l’ont pris il y a plus de 10 ans. Ainsi alors que l’usage de l’avion est une pratique familière et ancrée dans le présent, l’expérience du train de nuit, bien que partagée par une part non marginale de la population, a pu être oubliée.
Les personnes ayant emprunté au moins une fois l’avion ces cinq dernières années ont été interrogées sur leurs préférences entre train et avion lors d’un trajet de longue distance. Les réponses permettent de construire quatre catégories de préférences qui éclairent les facteurs de choix de mode de transport pour ce type de déplacements.
Un tiers des usagers de l’avion préfère le train. On peut en déduire que pour ces personnes l’avion est un choix par défaut, et qu’une offre ferroviaire améliorée (en termes de desserte et de tarifs notamment) pourrait les attirer. L’enquête révélant également que les personnes préfèrent le train de nuit au train de jour pour les longues durée, ces personnes représentent une clientèle potentielle pour le train de nuit.
Inviter les répondants à choisir entre train de nuit et avion dans différents scénarios révèle que la préférence pour l’avion ou le train est fortement corrélée au capital économique et culturel des usagers, et en moindres proportions à leur âge et à la composition de leur ménage :
Confort et prix sont les conditions générales d’usage du train de nuit : Le temps de trajet en train ou en avion joue très peu sur les choix effectués, dans la mesure où l’avion est de toutes manières bien plus rapide que le train de nuit. En revanche, le prix est très important pour tous les voyageurs au moment de prendre leur décision.
Les usagers de l’avion sont demandeurs de services supplémentaires à bord du train de nuit, leur garantissant un certain niveau de confort. Pour plus de la moitié des répondants, il est indispensable de disposer d’une cabine privative et d’une couchette pour choisir de prendre le train de nuit.
Une offre haut de gamme et des aménités pourraient attirer les voyageurs qui sont peu adeptes du train vers les trains de nuit :
En prenant l’exemple d’un trajet entre Paris et Nice (compte tenu des prix actuels sur ce trajet mais en supposant une situation réelle de choix : horaires adaptés, connaissance de l’offre...), 24 % des répondants pourraient prendre le train de nuit plutôt que l’avion.
En appliquant le taux de report de 24 % aux 1,6 millions de passagers aériens transportés annuellement de Paris vers Nice (Eurostat 2019), 384 000 voyageurs devraient souhaiter utiliser le train de nuit. Dans les faits, pour absorber cette demande, 2 à 3 trains de 446 places seraient nécessaires chaque nuit, contre 1 train de 300 places actuellement.
En outre, il n’est actuellement pas possible de réaliser ce trajet en train de nuit tous les jours de la semaine, alors que plusieurs avions font le trajet chaque jour. Ces éléments donnent un ordre de grandeur de l’effort à fournir en matière d’offre pour suivre la demande potentielle. Générer un report modal depuis l’avion vers le train de nuit nécessitera donc une action forte de la puissance publique et ne pourra venir des seuls opérateurs ferroviaires.
Pour citer l’étude : 6t-bureau de recherche. (2022). Mobilité longue distance et choix modal en Europe : quel avenir pour les trains de nuit ? Rapport final