Combiner plusieurs modes collectifs interurbains permet d’en augmenter la portée et d’enrichir l’offre de dessertes proposées, offrant ainsi des alternatives à la voiture personnelle sur davantage d’origines/destinations. L’existence de correspondances sur les voyages interurbains en modes collectifs, si elle constitue parfois la seule manière d’emprunter ces modes sur un itinéraire donné, est cependant associée à une perte en qualité de service. Les correspondances impliquent une rupture dans le voyage, nécessitant parfois de changer d’espace de transit, ajoutant parfois un temps d’attente rallongeant la durée totale du déplacement, et ajoutant une incertitude supplémentaire quant à la bonne réalisation du voyage.
Les correspondances viennent donc complexifier les voyages interurbains en transports collectifs, et cette complexité se décline, de manière plus ou moins forte, dans chacun des aspects de l’expérience des usager·e·s. Voyager avec des bagages encombrants constitue par exemple un facteur de difficulté, renforcée dans le cas de voyages avec correspondances. De même, si les perturbations affectent négativement l’expérience des voyageur·euse·s, elles sont d’autant plus contraignantes qu’il s’agit de voyages avec correspondances. Les correspondances ont aussi un effet multiplicateur sur les difficultés existantes.
L’enjeu de qualité de service est donc fort concernant l’offre collective interurbaine avec correspondances. Il s’agit de faciliter l’expérience des voyageur·euse·s concerné·e·s et de renforcer l’attractivité de cette offre, notamment en regard des avantages perçus de la voiture personnelle.
L’objectif de l’AQST est d’appréhender finement l’expérience et le ressenti des voyageur·euse·s lors des correspondances en transports collectifs. Pour cela, 6t-bureau de recherche a accompagné l’AQST par une approche qualitative, permettant d’étudier en profondeur les perceptions, les représentations et les expériences subjectives vécues par les individus.
Une série de 20 entretiens semi-directifs, auprès d’usager·e·s des transports collectifs interurbains aux profils diversifiés (en termes de genre, âge, lieu de résidence, activité et CSP, modes utilisés) a été menée. Considérant l’expérience des voyages en transports collectifs interurbains dans son intégralité, les enquêté·e·s ont été interrogé·e·s sur l’ensemble de cette dernière, de la recherche d’information et réservation à l’après-vente, en passant bien sûr par le voyage lui-même.
Les voyages en modes collectifs interurbains avec correspondances sont associés à une perte de qualité : plus longs, impliquant une plus forte incertitude, moins pratiques et confortables, mais pas nécessairement moins chers. Il s’agit donc d’un choix par défaut pour les voyageur·euse·s, qui privilégient les trajets directs, et peuvent également se tourner vers la voiture personnelle. Outre la disponibilité aux horaires souhaités, le principal levier d’attractivité des voyages en modes collectifs interurbains avec correspondances serait une tarification attractive, compensant la perte en qualité.
L’étape de recherche et de réservation est marquée par une forte utilisation des outils numériques, avec des agences de voyage en ligne comme SNCF Connect, proposant des offres intégrées avec correspondances. Ainsi, les correspondances sont presque invisibilisées aux yeux des voyageur·euse·s, qui bénéficient d’une expérience fluide. Plus rarement, les voyageur·euse·s peuvent organiser elleux-mêmes leurs correspondances, en réservant séparément les différents titres de transport. Pour faciliter encore plus la réservation de voyages avec correspondances, les agences de voyages en ligne pourraient intégrer davantage d’offres, en proposant par exemple à la fois des options de trajet en train et en car.
Si une satisfaction globale vis-à-vis des canaux numériques peut-être observée pour la préparation des voyages avec correspondances, certains cas complexes demeurent mal pris en compte par ces derniers, qui peuvent aussi être difficiles à maîtriser pour certains publics peu à l’aise avec le numérique. En complément, il s’agit donc de maintenir des canaux d’information et de réservation humanisés, utiles pour tous types de voyages, mais plus encore en cas de correspondances.
La réalisation de la correspondance soulève tout d’abord une question d’espace et d’orientation. L’affichage et la signalétique jouent un rôle majeur. Les voyageur·euse·s s’en montrent satisfait·e·s dans les grandes gares ferroviaires et les aéroports, mais relèvent des manques en ce qui concerne les plus petites gares ferroviaires et les gares routières. Un manque de signalétique est également noté pour l’orientation en-dehors des espaces de transit, que ce soit par la rue/route ou en transports en commun. Il s’agit donc d’améliorer l’information visuelle pour aider les voyageur·euse·s à s’orienter dans et vers ces espaces de transit. La présence de personnel constitue également un complément apprécié, surtout en cas de difficulté et pour les voyageur·euse·s disposant de peu d’expérience. Enfin, les outils numériques, notamment via les applications des opérateurs, fournissent des informations précieuses pour s’orienter lors des correspondances. Celles-ci pourraient également intégrer un guidage GPS sur l’itinéraire du transfert entre les modes utilisés en correspondance.
L’expérience des correspondances soulève ensuite une question de temps. La majorité des voyageur·euse·s se disent soucieux·euses d’assurer leur correspondance, sans stress. Ces dernier·e·s se préfèrent se ménager une marge de manœuvre temporelle, permettant même pour certain·e·s d’anticiper et d’absorber d’éventuels retards sur le premier segment. Les offres de voyages avec des correspondances d’une durée jugée confortable par ces voyageur·euse·s pourraient être systématisées (>15 minutes par ex). Une minorité de voyageur·euse·s privilégie en revanche les correspondances les plus courtes, dans une logique d’efficacité. Plus encore que dans le cas des trajets directs, les voyages avec correspondances impliquent une fréquentation et une attente renforcées dans les espaces de transit, dont la qualité est primordiale. Les voyageur·euse·s sont sensibles aux commerces et services présents dans ces espaces, permettant de se restaurer, ainsi qu’aux aménagements permettant une attente confortable, avec un nombre suffisant de places assises, et offrant un sentiment de sécurité. Là-encore, la qualité des espaces d’attente est à améliorer pour les gares routières et les plus petites gares ferroviaires. Notons enfin que le temps d’attente dans les espaces de transit, plutôt que d’être considéré comme un temps perdu ou chargé négativement, peut aussi être approprié comme un temps de voyage, selon une logique d’évasion, notamment dans le cas des déplacements pour motif loisirs. Des campagnes d’affichage ou des aménagements spécifiques pourraient renforcer ce sentiment d’être « déjà dans l’espace-temps des vacances ou des loisirs ». Plus encore, le temps de correspondance, s’il est suffisant, pourrait être une occasion pour découvrir et profiter des aménités locales : patrimoine historique ou architectural, offre locale de restauration et de commerces, voire cinémas ou musées. La correspondance pourrait ainsi se révéler une opportunité. Les opérateurs pourraient proposer aux voyageur·euse·s des activités spécifiques, en lien avec le tissu local (partenariat avec les offices de tourisme ou les restaurateurs pour proposer des offres exclusives aux voyageur·euse·s en correspondance).
L’impact négatif des perturbations sur l’expérience de voyage interurbain en modes collectifs se trouve renforcé en cas de correspondances. Si elles surviennent sur le premier segment de trajet, elles peuvent remettre en cause la réalisation de la suite du voyage, avec des effets en chaine jusque sur les derniers kilomètres. Si elles surviennent sur le dernier segment du voyage, l’impact est moindre et elles peuvent s’apparenter, pour ce qui est du déplacement lui-même, aux perturbations sur les trajets directs. Elles peuvent cependant complexifier le processus d’indemnisation : une difficulté d’indemnisation sur un segment du trajet peut parfois rendre impossible l’indemnisation des autres segments. L’interopérabilité des processus d’indemnisation est à améliorer, notamment dans les cas de correspondances entre TGV et offres régionales.
En cas de perturbation sur le premier segment des voyages avec correspondances, l’information fournie aux voyageur·euse·s se révèle cruciale et leur permet de s’adapter. Les voyageurs·euse·s témoignent de degrés de satisfaction variables sur l’information concernant les perturbations et les correspondances, avec une insatisfaction à noter dans le cas des cars SLO. L’information gagnerait donc à être améliorée et harmonisée, en mobilisant l’ensemble des canaux disponibles (notifications via les applications, annonces sonores à bord des véhicules), et en étant communiquée suffisamment tôt, en temps réel, avec précision et transparence sur les retombées sur les correspondances. Les mesures d’adaptation mises en place par les opérateurs, comme le décalage du départ d’un train accueillant de nombreux voyageur·euse·s en correspondance retardé·e·s par une perturbation, sont appréciées lorsqu’elles sont présentes, et connues des voyageur·euse·s. En plus de systématiser ce type de mesures, les opérateurs pourraient davantage communiquer à leur sujet, lorsque les perturbations surviennent, mais aussi de manière générale, afin de rassurer les voyageur·euse·s sur la fiabilité des voyages avec correspondances. Les possibilités de prise en charge d’un hébergement restent largement méconnues et pourraient aussi être mises en avant.