Contexte : expérience forcée et besoin de réduction des déplacements
La crise sanitaire de 2020 et les mesures de semi-confinement mises en place pour la contrer ont profondément bouleversé la vie de chacun et chacune. Notamment, cette situation a entraîné l’adoption massive du télétravail pour de nombreux actifs durant une période de plusieurs mois, dès mars 2020. Parallèlement, le monde doit faire face aux changements climatiques, liés aux émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique. En Suisse, le secteur des transports est responsable de près d’un tiers des émissions, faisant de leur réduction une priorité pour la préservation du climat, qui doit entre-autres passer par des changements de comportements à grande échelle.Face à ce double constat, la pratique du travail, qui consiste à réaliser ses activités professionnelles à distance, doit permettre de réduire le nombre de déplacements domicile- travail et par conséquent les distances parcourues tout comme les émissions de CO2 des actifs.
Principaux enjeux
L’étude menée par 6t-bureau de recherche vise ainsi à estimer les impacts de la pratique du télétravail avant, pendant et après la période de crise sanitaire, tout comme ses développements potentiels dans une perspective de réduction des déplacements en Suisse romande. Il est ici question de :
Méthodologie
La collecte de données a eu lieu du 7 et 20 mai 2020, afin de prendre en compte les comportements développés pendant la période de semi-confinement, tout comme les pratiques habituelles des actifs interrogés. 1'971 réponses ont été obtenues parmi les sept cantons et régions francophones de Suisse romande et ont permis d’obtenir un échantillon global représentatif de la population selon leur répartition par sexe, âge, canton et géotype (urbain, intermédiaire, rural).L’enquête a ciblé trois types de population, auxquels une série de questions adaptées ont pu être posées : les télétravailleurs habituels, le pratiquant au moins une fois par mois avant la crise sanitaire, les primo-télétravailleurs, qui ont testé cette pratique pendant le semi-confinement ainsi que les autres actifs.L’analyse statistique a intégré une méthodologie innovante développée par 6-t, permettant de simplifier la méthode d’enquête tout en garantissant la pertinence des résultats. Cette méthode se base sur :
Principaux résultats
Avant la période de semi-confinement, le télétravail était pratiqué au moins une fois par mois par 21,1% des Romands (14,8% le pratiquent même au moins une fois par semaine). On retrouve le plus de télétravailleurs dans les cantons les plus urbains, Genève en tête avec 24%, avant tout car on y retrouve des emplois qui s’y prêtent mieux qu’ailleurs. Cette pratique dépend d’ailleurs largement du secteur d’activité, dont certains s’y prêtent plus que d’autres : le secteur de l’information et communication compte 53% de télétravailleurs alors que celui de l’hébergement et la restauration n’en compte que 7%.Les télétravailleurs sont majoritairement des hommes (58%) et ils résident avant tout en milieu urbain (64% contre 58% chez les non-télétravailleurs). En outre, le taux de télétravailleurs augmente avec le revenu de leur ménage pour atteindre au maximum 26% parmi les actifs constituant un ménage au revenu dépassant 10'000 CHF / mois.Globalement, la pratique du télétravail est perçue positivement par ses habitués, car elle permet une meilleure gestion du stress (pour 64%) tout comme un meilleur équilibre entre vie professionnelle et familiale (62%).
Si un jour de télétravail, les actifs réduisent leurs déplacements de 71%, leur distance de 80% et leurs émissions de 71%, ceci doit être mis en perspectives de leur mobilité globale. En effet, comme l’ont montré de nombreuses études, la pratique du télétravail permet avant tout un réagencement des déplacements plus qu’une suppression simple de ceux-ci. En libérant du temps pour de nouvelles activités — et donc de nouveaux déplacement — elle peut toutefois générer un « effet rebond » avec un gains global de mobilité. Notamment, les résultats de l’enquête montrent que les télétravailleurs maximisent leurs trajets les jours travaillés, lors desquels ils se déplacent plus que les autres actifs. Également, ils ont tendance à résider plus loin de leur lieu de travail (14 km contre 12,5 pour les autres actifs).Pour tenir compte de ces effets rebonds, l’enquête de 6-t s’est basée sur le nombre total de déplacements à l’échelle hebdomadaire, en intégrant les trajets domicile-travail (les déplacements secondaires sur ce trajet) tout comme les déplacements autour du domicile et autour du lieu de travail pour tous types de motifs.
La tendance est la suivante : à l’échelle de la semaine, les télétravailleurs parcourent des distances plus courtes, effectuent moins de trajets et rejettent moins de CO2 que les autres actifs (-4% de déplacement, -4% de kilomètres parcourus et -19% de kilogrammes de CO2 émis).Bien que les écarts observés en matière de déplacements et de distances soient relatifs, concernant les émissions, la diminution plus forte s’explique par les modes de transport employés par les télétravailleurs, qui favorisent les transports en commun, tout comme les modes doux : ces pratiques sont elles-mêmes explicables par l’habitat majoritairement urbain des télétravailleurs et qui favorise la proximité.Cette différence dans le bilan hebdomadaire de mobilité dépend en outre de la fréquence à laquelle le télétravail est pratiqué : les télétravailleurs réguliers (qui le pratiquent au moins une fois par semaine) ont en ce sens des habitudes bien plus vertueuses que les autres télétravailleurs. D’ailleurs, les occasionnels (pratiquant le télétravail entre une et trois fois par mois) se déplacent plus que les non-télétravailleurs. À ce titre, ces ils auraient un bilan mobilité bien plus lourd encore s’ils ne pratiquaient pas du tout le télétravail.
Plus d’un quart des actifs romands ont expérimenté le télétravail pendant la période de semi-confinement (27,2% de primo-télétravailleurs, qui ont pratiqué pour la première fois le télétravail). À ce moment, 48,4% des actifs romands pratiquaient le télétravail. C’est d’ailleurs dans les cantons avec le plus de télétravailleurs habituels que l’on trouve également le plus de primo- télétravailleurs (à Genève, jusqu’à 57,4% des actifs télétravaillaient pendant cette période).
Ces primo-télétravailleurs se différencient des habituels, car comptent une part plus importante de femmes (56% contre 42% pour les télétravailleurs habituels), mais également de professions intermédiaires (18% d’employés administratifs contre 11% pour les habituels) et moins de dirigeants (8% seulement alors qu’ils sont 22% chez les télétravailleurs). Ils sont d’ailleurs plus présents dans les ménages avec des revenus plus modestes (21% constituent un ménage avec revenu situé entre 4'000 et 6'000 CHF /mois).L’expérience forcée du télétravail a toutefois été jugée positivement et 76,8% des primo-télétravailleurs souhaitent le pratiquer à l’avenir au moins une fois par mois — ce sont les télétravailleurs potentiels. Toutefois, un potentiel effet rebond est à pressentir, car 49% des actifs seraient d’accord de choisir un lieu d’emploi plus éloigné de leur domicile avec une augmentation de leur pratique du télétravail.
Si les télétravailleurs potentiels adoptaient la pratique du télétravail tel que désiré, ils pourraient diminuer leurs distances, nombre de déplacements et émissions de CO2 hebdomadaires (en postulant qu’ils adopteraient des pratiques similaires à celles qui ont été mesurées pour les télétravailleurs habituels, soit en tenant compte des effets rebonds) :
En extrapolant nos résultats à l’ensemble de la Suisse romande, la tendance à la baisse du nombre de déplacements, des kilomètres parcourus tout comme des émissions de CO2 se confirment avec, à l’échelle quotidienne, -78’169 déplacements effectués (-1%), -1'155'506 kilomètres parcourus (-1,4%) et -153’338 tonnes de CO2 émis (-0,8%). Malgré des proportions relatives, ces diminutions restent importantes et tiennent compte des effets rebonds de mobilité. De même, ils sont extrapolés uniquement sur la base des primo-télétravailleurs ayant exprimé le désir d’adopter cette pratique, indépendamment d’une promotion qui pourrait encore permettre de renforcer ce potentiel.
Cliquez ici pour télécharger la synthèse et le rapport complet